Bénin : Moïse Kérékou décrypte la rencontre Talon et Démocrates
L’ambassadeur Moïse Kérékou se prononce sur la récente rencontre entre le Chef de l’État Patrice Talon et la délégation du parti « Les Démocrates », conduit par l’ancien président Boni Yayi. Au détour d’une interview accordée à nos confrères, l’Ambassadeur Moïse Kérékou, décrypte cette entrevue et fait des « rappels ». C’est à lire ici.
Le Chef de l’Etat a reçu une délégation du parti Les Démocrates avec à sa tête Boni YAYI. Pourquoi n’a-t-il pas fait l’option de recevoir, selon vous, une délégation de la grande l’opposition ?
Moise KEREKOU : Depuis les réformes politiques engagées, nous avons un nouveau système partisan. Il se fait que le parti Les Démocrates est le seul parti de l’opposition – et non d’opposition – représenté au Parlement, donc c’est tout à fait normal. Nous oublions souvent aussi que selon le nouveau système, le parti qui jouit de la plus grande représentativité jouit aussi du titre de Chef de file de l’opposition. Par conséquent, il ne faut pas voir seulement le parti LD, mais toute l’opposition représentée par le Parti LD.
Toutefois, il est vrai que par courtoisie le Chef de file aurait pu associer d’autres partis de l’opposition à la séance. Il n’a peut-être pas pensé à cela. Cela va venir, car aujourd’hui presque tous les hommes politiques béninois et politiciens, n’ont pas encore compris les contours sémantique, idéologique et théorique de notre nouveau système partisan qui est le système le plus avancé dans une démocratie. Les pays comme la Grande Bretagne, Israël et l’Inde, l’ont adopté. Pour ma part, la démocratie béninoise n’est pas encore mature pour cette forme de gouvernance politique.
Des annonces ont fusé de cette rencontre : l’audit de la liste électorale par l’opposition, le refus de gracier les prisonniers désignés, à tort ou à raison, de politiques dont Reckya MADOUGOU… Quelle est votre lecture de l’issue de cette rencontre ?
Le Communiqué du Palais était déjà clair. Le motif de l’invitation était connu. Le Président de la République, premier animateur de la vie politique, a invité le Chef de file de l’opposition pour discuter du fichier électoral. Qu’il vous souvienne, la semaine passée, le Chef de file de l’opposition s’est plaint du caractère non inclusif de cette liste et a alerté la communauté internationale. Cette attitude est à saluer, il en est de même de la prompte réaction du Chef de l’Etat qui l’a invité, l’a écouté, et a promis un audit de cette liste. Vivement que les prochaines élections de 2026, premières élections du genre, soient inclusives. Bien entendu quand je dis liste, j’entends bien le fichier électoral et aussi les structures en charges de la manipulation de ce fichier. Elles doivent être inclusives, c’est-à-dire, avoir en leur sein toutes les forces politiques représentées.
Au cours de cette séance, les LD ont seulement plaidé le cas de la Ministre Reckya MADOUGOU en détention. Qu’en est-il du cas du Professeur Joël AïVO ? Il semble avoir été oublié.
Les journaux ont relayé la position du Chef de l’Etat ; c’est la position de l’Exécutif. Ce n’est encore fini. Il reste celle du Législatif qui est une Institution de contre-pouvoir. À ce niveau on ne parle pas de grâce présidentielle mais plutôt d’amnistie. Celle-ci, je la souhaite la moins sélective et la plus inclusive. Je profite de votre tribune pour en appeler à la bienveillance des élus de la Représentation nationale car ils portent désormais l’espoir de tout un peuple et leur vote sera déterminant pour le sort de nos compatriotes privés de liberté. J’ai une pensée spéciale pour les compatriotes en exil. J’attends de lire le compte-rendu complet de la séance pour savoir ce qui est décidé par rapport à eux et quel sera leur sort.
La bipolarisation de classe politique béninoise est aujourd’hui bien perceptible. Cet état de chose ne maintiendra-t-il pas le pays comme otage de YAYI et TALON au-delà de 2026 ? Peut-il avoir une force d’interposition ou une autre offre crédible qui pourra prospérer à l’échéance 2026 ?
Cette bipolarisation est un signe de l’échec de la classe politique qui peine à se renouveler. C’est aussi un souci pour la relève et la jeunesse quasi absente des débats politiques et de l’animation de la vie politique. Mais c’est le système partisan qui ne lui a pas fait de cadeau car il l’a exclu d’emblée au profit des grands regroupements. C’est au sein de ces grands regroupements que la relève doit s’opérer et que la jeunesse doit s’imposer. Dans tous les cas, à cause de notre culture politique et sociologique, ces manœuvres seront limitées.
Non, cet état de chose ne maintiendra pas le pays en otage après 2026 puisque la Constitution est claire, les deux figures politiques qu’on le veuille ou pas ne pourront pas être candidats. Donc forcément on s’achemine vers un renouvellement de la classe politique en 2026. Par ailleurs, le peuple a toujours soif d’un Parlement dynamique avec de vérifiables blocs de contre pouvoir. Ce peuple va s’exprimer en 2026. Enfin, il ne faut pas occulter le fait que les conseils municipaux et les maires seront aussi renouvelés lors de ces élections générales. Forcément donc, il y aura renouvellement de la classe politique.
Face au tableau actuel, une force d’interposition a plus ou moins de chance de prospérer. Il faut qu’elle se situe très bien sur l’échiquier politique et qu’elle soit bien organisée avec des acteurs politiques crédibles.
Face à tout ceci, où situer Moïse KEREKOU qui était quand même candidat dans un duo en 2021, a viré dans un parti mais dont on ne sent plus le militantisme ?
Moïse KEKEROU est bel et bien présent et suit de près l’actualité politique. Vous savez, 2021 a été une année difficile, la plus difficile de toute ma carrière politique. Il fallait une introspection et faire le point pour savoir quelle conduite tenir. Je n’ai pas viré, j’ai plutôt changé de fusil d’épaule puisque je suis toujours dans le rang ou dans le fil de l’opposition. Jusqu’à preuve du contraire, je ne pense pas que vous m’ayez vu virer vers l’un des partis de la mouvance ou m’entendu faire une déclaration de soutien aux actions du Chef de l’Etat. FCBE était Chef de file de l’opposition, elle l’a perdu au profit des LD. Mais somme toute, c’est toujours l’opposition qui gagne, peu importe qui est le Chef de file.
J’ai commencé le militantisme à 16 ans avec le Fard Alafia, parti qui soutenait les actions du Président KEREKOU. Je l’ai continué à l’Université et plus tard j’ai créé mon mouvement politique. Chacun fait sa politique en fonction de sa vision et de ses moyens. Et puis, n’oublions pas cette sagesse populaire qui dit : « il faut reculer pour mieux sauter ».
Propos recueillis par : Amèdé MAHOUTONKPE