Société

Union européenne : Tribune de Josep Borell à l'occasion de la Journée de l'Europe

Par : Is-Deen O. TIDJANI (D.O.T)
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Fidèle à ce qu’il convient d’appeler désormais une tradition annuelle, la communauté européenne a célébré le samedi 9 mai 2020, la Journée de l’Europe. La présente édition qui se tient dans un contexte d’une crise sanitaire mondiale critique dû au virus du Covid-19, n’a pas pour autant empêché les responsables de l’UE de commémorer à leur manière cette date. En l’absence de manifestations officielles, Monsieur Josep Borell, Haut Représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Vice-président de la Commission européenne a cependant adressé une tribune à toute la communauté européenne. Nous vous proposons ici, l’exclusivité.

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Tribune de Josep Borrell, Haut Représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Vice-président de la Commission européenne à l’occasion de la Journée de l’Europe, le 9 mai 2020

La Journée de l’Europe en 2020 – Ma conception de l’idée européenne
Le 9 mai, nous célébrons la Journée de l’Europe. Le 70e anniversaire de la déclaration Schuman est l’occasion de réfléchir à ce que signifie la construction européenne et au rôle de l’UE dans le monde. Dans ce billet, je souhaite livrer ma réflexion personnelle, et montrer pourquoi l’Europe, en tant qu’idée et projet politique, mérite d’être défendue.
Comme chez d’autres, mon cheminement personnel a orienté mes convictions politiques.
Mon intérêt pour l’idée européenne et mon attachement à la faire vivre, à titre personnel et professionnel, remontent à l’époque de mes dix-sept ans lorsque, toujours sous le régime de Franco, j’ai reçu une bourse d’étude récompensant une dissertation sur les perspectives d’adhésion de l’Espagne à ce que l’on appelait alors le « Marché commun européen ». Pour moi et ma génération qui vivions en Espagne dans une dictature militaire, l’Europe était un symbole d’espoir, de progrès, de démocratie, de liberté et de solidarité.
Les toutes premières fois où j’ai franchi les frontières de mon pays (ce qui n’était pas aussi facile à l’époque que maintenant) c’était pour des emplois étudiants d’été: dans une ferme au Danemark, dans le secteur de la construction en Allemagne, dans l’hôtellerie et la restauration en Grande-Bretagne et pour les vendanges en France. Mes voyages à travers l’Europe m’ont ouvert des perspectives inconnues, offert des libertés inexplorées et donné la capacité de saisir des opportunités nouvelles.
Durant l’été 1969, après avoir fini mes études à l’université polytechnique de Madrid, j’ai travaillé dans un kibboutz et voyagé partout en Israël et dans les territoires palestiniens occupés, du plateau du Golan à Eilat. Ce fut mon premier contact avec le conflit israélo-palestinien. Cette expérience me rappela la nature tragique de l’histoire de l’humanité et la nécessité d’échapper au poids de l’histoire. C’est le même sentiment qui nous anime en tant qu’Européens.
L’histoire de l’Europe est une histoire de luttes pour des frontières. Au prix de millions de morts. Les frontières sont ainsi les cicatrices de l’histoire. Le génie de l’idée de la construction européenne réside dans la décision d’arrêter de s’affronter pour déterminer le tracé des frontières, et de s’atteler au contraire à les rendre insignifiantes. De fait, l’UE est devenue championne mondiale de l’élimination des frontières. Malheureusement, à bien des égards, les murs sont aujourd’hui à nouveau plus nombreux dans le monde qu’au moment de la chute du mur de Berlin.
Il est saisissant et douloureux de vivre actuellement dans une Europe où les frontières reviennent en force, puisqu’elles sont fermées pour les personnes depuis plus d’un mois. Mais il existait et il existe encore des raisons impérieuses à cela. Toutefois, j’aspire au jour où nous retrouverons tous des frontières ouvertes, où nous pourrons à nouveau voyager à travers l’Europe, dès que les circonstances le permettront.
Le 70e anniversaire de la déclaration Schuman est l’occasion de revenir aux principes premiers qui sont les fondements de l’Europe: la paix et la démocratie, le dépassement de l’histoire, la solidarité internationale, les frontières ouvertes. Nous devons penser et agir avec ambition. Comme le disait Robert Schuman dans sa déclaration:
« La paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent. »
Robert Schuman voyait les choses en grand. Il n’était pas prisonnier de schémas de pensée dépassés. Le projet dont il a été l’initiateur a été une spectaculaire réussite. Il a permis à une Europe épuisée et en ruine de croire à nouveau en elle-même et de se relever. Passant de six membres à douze, puis quinze et aujourd’hui vingtsept, la communauté du charbon et de l’acier est devenue un marché commun, puis une Union politique, avec l’ambition de devenir un véritable acteur géopolitique.
Certes, il y a de nombreuses raisons d’être critiques. Nous devons démontrer que la solidarité n’est pas un vain mot et que nous sommes réellement attachés à l’idée d’une Europe qui protège. Le premier devoir des pouvoirs publics est de protéger et l’UE doit être au cœur de la lutte contre le coronavirus et des efforts en vue de la reprise. Après un démarrage mal assuré, l’UE est désormais mobilisée sur tous les fronts [lien vers la note de blog sur le marathon de l’UE contre le coronavirus]. Quand cette crise sera passée, l’idéal européen sera jugé par les citoyens à l’aune de leur réponse à cette question simple: « L’Union européenne m’a-t-elle protégé? »
Fondamentalement, l’Europe doit relever trois défis simultanés. Tout d’abord, nous devons intégrer les soins de santé à notre réflexion en matière de sécurité et à notre approche de la souveraineté européenne. Ensuite, afin d’éviter l’effondrement de nos économies, nous devons apporter une réponse forte, coordonnée et imaginative. Enfin, l’Europe doit prendre la tête d’un effort mondial coordonné pour affronter la pandémie. Il ne fait aucun doute que les pays agissant seuls sont voués à l’échec.
Depuis maintenant des semaines, nos gouvernements ont délibérément ralenti nos économies pour nous protéger. Les graves conséquences économiques ne résultent pas d’une crise sanitaire, mais des mesures prises pour l’éviter. Cela ne s’était jamais produit au cours de notre histoire. Ces circonstances sans précédent touchent les différents pays à des degrés très divers, ce qui risque de créer des tensions à l’intérieur de l’Europe et dans le monde. Les mots clés du moment sont la sécurité sanitaire, la résilience, l’autonomie stratégique, le multilatéralisme et la relance écologique.
Notre monde a beaucoup changé depuis l’époque de la déclaration Schuman. Nous avons parcouru un long chemin en sept décennies, et avons surmonté de nombreuses crises.
À quoi ressemblera l’UE dans 70 ans? La réponse se trouve dans les décisions que nous prenons aujourd’hui.
En tant que témoin de l’histoire européenne, avec tous ses hauts et ses bas, je suis convaincu qu’il nous faut penser avec autant d’ambition et de créativité que Robert Schuman, et agir dans le même esprit.

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